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Comment les entreprises doivent-elles gérer les aspects juridiques de l'innovation ouverte ?

Comment les entreprises doivent-elles gérer les aspects juridiques de l'innovation ouverte ?

Murat Peksavaş – Consultant principal en gestion de l'innovation

L'innovation ouverte bénéficie d'une plus grande liberté contractuelle que l'intrapreneuriat classique. Si cette liberté constitue un atout, elle engendre également des risques juridiques si elle n'est pas gérée de manière systématique. Cet article explique comment les entreprises doivent appréhender les aspects juridiques de l'innovation ouverte : des plateformes de collecte d'idées aux accords de confidentialité en phase de développement, en passant par la propriété intellectuelle conjointe, les prises de participation, les acquisitions et les plans d'options d'achat d'actions. Il démontre également pourquoi une collaboration interfonctionnelle entre les services innovation, juridique et financier est essentielle pour élaborer des accords adaptés aux startups, exécutoires et stratégiquement pertinents.

Pourquoi la dimension juridique de l’open innovation est-elle différente de celle de l’intrapreneuriat ?


Les programmes d’intrapreneuriat sont généralement encadrés par le droit du travail et par des politiques internes : le collaborateur est déjà salarié, et les règles de PI sont souvent prévues dans les contrats standards. L’open innovation, au contraire, s’inscrit dans un champ beaucoup plus large de liberté contractuelle. L’entreprise collabore avec des entrepreneurs externes, des startups, des universités et des fournisseurs, chacun ayant un statut juridique, une juridiction et des attentes différents. Cette flexibilité est un atout, car les parties peuvent concevoir des structures sur mesure – mais elle signifie aussi que le risque juridique est plus varié et moins prévisible que dans des projets purement internes.


Les équipes corporate sont habituées à traiter avec des acteurs commerciaux classiques : fournisseurs établis, partenaires de long terme, clients régulés. Les startups et les entrepreneurs individuels ne rentrent pas dans ces moules. Leurs relations juridiques demandent plus de nuance, et souvent davantage de flexibilité sur la PI, la confidentialité, l’exclusivité et la responsabilité. Par ailleurs, toutes les entreprises ne s’engagent pas de la même façon auprès des entrepreneurs : certaines investissent, d’autres co-développent des produits, d’autres encore se concentrent sur des PoC et des pilotes. C’est pourquoi l’open innovation ne peut pas reposer sur un unique « contrat cadre » ; elle nécessite une boîte à outils de modèles juridiques et des collaborateurs qui comprennent les grands profils de risque, même s’ils ne sont pas juristes.


Quels enjeux juridiques apparaissent au stade de la collecte d’idées ?


Le stade de l’idée correspond au moment où l’entreprise invite publiquement des entrepreneurs ou des startups à soumettre des concepts, souvent via des plateformes en ligne, des appels ouverts, des hackathons ou des campagnes de crowdsourcing. Ces initiatives peuvent prendre plusieurs formes : plateformes toujours ouvertes couvrant tous les domaines d’activité, appels à défis centrés sur des problèmes précis, ou appels spéciaux limités à des solutions déjà protégées par des droits de PI. À ce stade, le risque juridique principal n’est pas tant de savoir qui « possède » l’idée au sens positif, que les potentielles allégations d’utilisation abusive ou de « vol » de concept.

Par exemple, une entreprise peut déjà travailler en interne sur un projet lorsqu’une idée similaire est soumise via la plateforme. Si la relation n’est pas bien cadrée, l’entrepreneur pourrait ensuite prétendre que l’entreprise a exploité son idée sans consentement ni compensation. Pour réduire ce risque, les entreprises demandent généralement aux participants d’accepter des conditions générales claires avant toute soumission. Ces conditions précisent souvent que les informations soumises ne sont pas confidentielles, que l’entreprise n’a aucune obligation de répondre, qu’elle peut librement communiquer les informations à des tiers, et que le soumissionnaire ne réclamera pas de compensation du seul fait que l’entreprise développe des solutions similaires.


En pratique, certaines entreprises vont plus loin et tentent d’insérer des clauses très larges prévoyant que tous les droits de PI sur l’idée sont automatiquement cédés à leur profit. Or, dans de nombreux systèmes juridiques, les lois de PI exigent des conventions spécifiques et écrites de « cession de droits », adaptées à la PI concernée, pour être valables. Compter sur de simples conditions de soumission comme si elles valaient contrat de cession complet est risqué. L’approche plus sûre consiste à traiter ces conditions comme un bouclier de risque de base, et à organiser tout transfert réel de PI ultérieur au moyen de contrats dédiés si le projet progresse.


Comment gérer le risque juridique au stade du développement ?


Le stade du développement commence lorsque l’entreprise et l’entrepreneur ou la startup se rencontrent et commencent à explorer une collaboration de manière plus détaillée. Cela peut se produire lors de demo days, de programmes d’incubation ou d’accélération, de rendez-vous de scouting, de discussions d’achats ou de négociations d’investissement initiées par la startup. Ici, la première grande question juridique est celle de la confidentialité : à partir de quel moment les parties vont-elles partager des informations pouvant constituer des secrets d’affaires, des données commerciales sensibles ou une PI protégeable ?


Qu’il s’agisse d’un entrepreneur encore en personne physique (avant la création d’une société) ou déjà constitué en personne morale, la bonne pratique est de signer un accord de confidentialité avant tout échange d’informations sensibles. Cet accord doit définir clairement ce qui est considéré comme confidentiel, comment ces informations peuvent être utilisées et pendant combien de temps. À ce stade, l’entreprise n’a aucune obligation de s’engager sur un projet ou un investissement ; le NDA crée simplement un espace sécurisé pour échanger. D’autres clauses parfois ajoutées – non-concurrence, non-sollicitation de salariés, pénalités contractuelles – doivent être évaluées au cas par cas, car elles peuvent être disproportionnées ou inapplicables dans certains systèmes juridiques si elles sont trop larges.


Il faut aussi garder en tête que toutes les discussions au stade du développement ne débouchent pas sur des accords. Les entreprises doivent éviter de créer des engagements implicites (par exemple en promettant des pilotes ou des investissements avant validation interne) et veiller à la cohérence entre le discours des équipes innovation et ce qui est réellement faisable juridiquement. Un désalignement entre le « discours business » et la réalité juridique est une source fréquente de frustration et de litiges en open innovation.


Quelles structures juridiques sont déterminantes au stade de la décision ?


Une fois que l’entreprise décide d’aller de l’avant avec une opportunité, le stade de la décision commence. À ce moment, la relation passe de l’exploration au contrat. Plusieurs scénarios sont fréquents, chacun avec ses propres structures juridiques et profils de risque.

Comment structurer la création d’une nouvelle société commune ?

Dans un scénario de création de nouvelle société, l’entreprise et l’entrepreneur créent une entité juridique séparée. Ils doivent d’abord convenir des fondateurs qui deviendront actionnaires et à quelles conditions. Certains ou tous les membres de l’équipe startup peuvent recevoir des actions, mais pas forcément en proportions égales. Les actions peuvent être attribuées dès la constitution ou progressivement au fil du temps, en fonction de la continuité de l’engagement ou de la performance (souvent à travers des mécanismes de vesting). Dans certains montages, la part de l’entrepreneur augmente à mesure que la société atteint des seuils de revenus ou des jalons définis.


Le pacte d’actionnaires devient central : il doit définir la gouvernance (composition du conseil, droits de vote, décisions réservées), les apports en capital, les droits spéciaux attachés à certaines actions (préférences financières, droits de veto, etc.) ainsi que les rôles, la rémunération et les responsabilités de l’équipe entrepreneuriale. La clarté à ce stade évite des incompréhensions ultérieures lorsque les attentes en matière de contrôle, de distribution de profits ou de sortie divergent.


De quoi tenir compte dans les partenariats en capital et les acquisitions ?


Dans un scénario de partenariat en capital, l’entreprise acquiert des actions dans la startup existante. Avant tout achat de titres, une due diligence approfondie est indispensable : analyse des états financiers, des actifs et passifs, des contrats, des autorisations réglementaires, de la propriété de la PI, des risques contentieux et de la situation juridique globale. Sur cette base, un Share Purchase Agreement (SPA) fixe notamment le nombre d’actions vendues, le prix, les déclarations et garanties, ainsi que les obligations post-closing. Souvent, un pacte d’actionnaires séparé est nécessaire pour organiser la relation continue entre l’entreprise et les autres investisseurs, incluant le rôle de l’entrepreneur, des obligations de lock-up ou de vesting et les mécanismes de sortie.


Dans un scénario d’acquisition totale, l’entreprise rachète 100 % des actions de la startup et l’équipe fondatrice peut rester ou non en place. La même logique de due diligence et de SPA s’applique, mais l’accord peut inclure des clauses supplémentaires sur les earn-outs, la non-concurrence et les conditions d’emploi post-acquisition des fondateurs. Ces clauses doivent trouver un équilibre entre la protection de l’investissement du corporate et l’incitation des fondateurs à rester engagés plutôt qu’à partir dès que possible.


Comment encadrer juridiquement un co-développement de produit ou de service ?


Le scénario le plus courant au stade de la décision reste le co-développement de produits ou de services sans création de nouvelle société ni prise de capital. L’entreprise et la startup conviennent de co-développer ou de commercialiser une solution, ce qui peut prendre la forme d’un PoC, d’un pilote, d’un projet de R&D ou d’une collaboration commerciale. Ici, la PI et le périmètre contractuel sont cruciaux.

Un accord solide doit d’abord distinguer la PI de base (« Background IP ») de la PI générée ensemble (« Foreground IP »). La Background IP recouvre toutes les PI que chaque partie possède déjà avant le début des travaux communs – logiciels existants, brevets, secrets d’affaires, marques, etc. La Foreground IP concerne la PI créée pendant la collaboration. Le contrat doit clarifier qui sera propriétaire de quelle Foreground IP, si certaines parties seront en copropriété, et dans quelles conditions chacune des parties pourra l’utiliser. La copropriété demande une attention particulière, car les règles nationales diffèrent fortement sur la manière dont une PI co-détenue peut être concédée sous licence ou défendue en justice.


L’accord doit également décrire la nature de la collaboration (par ex. PoC d’une durée et d’un périmètre définis, déploiement commercial complet, R&D uniquement), préciser les obligations de performance, fixer les modalités de paiement et traiter des questions de responsabilité, de résiliation et de règlement des litiges. Si les travaux communs impliquent l’accès à des installations, prototypes, bancs d’essai ou données clients, ces aspects opérationnels doivent aussi être explicitement couverts.


Que doivent savoir les entreprises sur les options d’achat d’actions et les mécanismes d’incitation ?


Les options sur actions apparaissent fréquemment en open innovation. On les retrouve dans deux contextes principaux : options accordées à l’entreprise et plans d’options pour les salariés de la startup. Quand des options sont accordées à l’entreprise, celle-ci obtient le droit – mais non l’obligation – d’acquérir un pourcentage défini du capital de la startup sous certaines conditions. Ce type de structuration apparaît souvent dans les programmes d’accélération ou d’incubation, ou lorsque le corporate fournit un soutien non monétaire significatif : accès à des locaux, support d’ingénierie, environnements de test, engagements d’achat à long terme. Le contrat d’option doit préciser clairement la durée de l’option (en général limitée, par ex. deux à trois ans), les conditions d’exercice (atteinte d’un seuil de revenus ou d’utilisateurs, par exemple), le mécanisme de valorisation ou la formule de prix, et si l’option est exerçable par tranches ou en une seule fois. Des options trop vagues ou illimitées peuvent sérieusement compliquer les levées de fonds futures de la startup.


Dans les plans d’options salariés (ESOP), la startup accorde des options à ses propres collaborateurs pour aligner les intérêts et réduire le turnover. Les conditions de vesting (ancienneté, objectifs de performance, seuils de revenus, événements de financement, etc.) doivent être explicites. Les contrats doivent préciser qui fournit les actions sous-jacentes (fondateurs ou société), si les actions sont émises à prix réduit ou gratuitement, et quelles sont les conséquences fiscales. Étant donné que les règles fiscales et le droit du travail varient fortement selon les pays, il est essentiel de consulter des experts fiscaux et juridiques pour concevoir des ESOP ou autres dispositifs d’intéressement en capital.


Pourquoi les entreprises devraient-elles se doter d’un modèle de collaboration dédié entre équipes open innovation et équipes juridiques ?


Compte tenu de la diversité des scénarios et de la vitesse des projets d’innovation, les entreprises ont intérêt à mettre en place un mécanisme flexible de collaboration entre les équipes innovation et les équipes juridiques. Plutôt que de traiter chaque projet comme une urgence isolée, un groupe de travail interfonctionnel peut cartographier systématiquement les risques aux stades idée, développement et décision, et maintenir une boîte à outils de documents standards.

Ce groupe de travail :

  • Développe des accords types (NDA, protocoles de protection de la PI, modèles de PoC, contrats de collaboration de base) réutilisables et adaptables.
  • Soutient les négociations spécifiques lorsque les modèles ne suffisent pas, afin que la recherche de vitesse ne se fasse pas au détriment de la sécurité juridique ou de la conformité.
  • Propose une formation juridique rapide aux équipes innovation sur les notions clés — PI, confidentialité, structures en capital, droit de la concurrence, protection des données — pour leur permettre de repérer les risques en amont.
  • Fait appel à des avocats et experts en investissement externes ayant une expérience profonde des écosystèmes startups lorsque des conseils spécialisés s’imposent.
  • Organise des retours d’expérience pour rester à jour sur les nouveaux modèles de collaboration, les pratiques d’investissement et les évolutions réglementaires de l’écosystème entrepreneurial.

Une telle structure préserve l’agilité tout en maintenant la discipline juridique. Les équipes innovation gagnent en vitesse de réponse et en outils concrets ; les équipes juridiques gagnent en visibilité et interviennent plus tôt dans le processus, ce qui réduit le nombre de crises de dernière minute.


Points clés à retenir


  • L’open innovation évolue dans un espace juridique plus large et plus flexible que l’intrapreneuriat, ce qui exige une gestion du risque plus structurée.
  • Les plateformes d’idées et campagnes de crowdsourcing doivent s’appuyer sur des conditions claires pour éviter les litiges de PI et les accusations de « vol d’idée ».
  • Les discussions au stade du développement doivent être protégées par des NDA, sans créer d’engagements implicites ni de restrictions disproportionnées.
  • Au stade de la décision, les entreprises doivent choisir la bonne structure : nouvelle société, partenariat en capital, acquisition, co-développement ou options – chacune ayant des implications juridiques spécifiques.
  • Distinguer Background IP et Foreground IP est essentiel dans les projets conjoints ; les droits de propriété et d’usage doivent être explicitement définis.
  • Les mécanismes d’options pour les entreprises et pour les salariés sont de puissants outils d’incitation, mais requièrent une rédaction soignée et une analyse fiscale/juridique approfondie.
  • Un groupe de travail dédié innovation–juridique avec modèles standard et dispositifs de formation augmente fortement à la fois la vitesse d’exécution et la robustesse juridique.

FAQ


Faut-il vraiment des contrats différents pour chaque scénario d’open innovation ?
Oui. Même si des modèles standards sont utiles, la création de nouvelle société, l’investissement en capital, l’acquisition et le co-développement impliquent des droits et des risques différents, et nécessitent donc des structures contractuelles adaptées.


Est-il suffisant de s’appuyer sur les conditions d’une plateforme pour acquérir la PI sur les idées soumises ?
Généralement non. Dans de nombreux pays, une cession complète de PI requiert des accords spécifiques et écrits. Les conditions de plateforme servent surtout à gérer le risque ; elles ne remplacent pas des contrats dédiés de transfert de PI lorsque le projet avance.


À quel moment les équipes juridiques doivent-elles être impliquées dans les projets d’open innovation ?
Le plus tôt possible : idéalement dès la conception des plateformes ou appels à idées, puis avant tout échange détaillé d’informations techniques ou commerciales, et en tout état de cause avant tout engagement sur un investissement, un PoC ou un co-développement.


Références

  • OCDE — Rapports sur l’open innovation, la PI et les pratiques contractuelles dans la R&D privée.
  • Commission européenne — Guides sur les collaborations université–industrie et les partenariats entreprises–startups.
  • OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) — Ressources sur la gestion de la PI, les licences et le transfert de technologie.
  • Harvard Business School — Études de cas sur le corporate venturing, les acquisitions et les partenariats avec les startups.
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